La Mémoire des murs
Petit Album d'images à propos du :
Drame déambulatoire d'Isabelle Provendier
Visite guidée exceptionnelle de quelques "lots" du chantier de la Tour d'Argent à L'Isle-sur-la-Sorgue, avec la complicité de la Direction du Patrimoine de la ville.
Ouverture
La comédienne Isabelle Provendier ranime les murs de la Tour d'Argent et du Cinévog par un spectacle concocté avec la Direction du Patrimoine de L'Isle-sur-la-Sorgue... Sa création "Mémoire des murs" est une visite d'une aile quelque peu oubliée de cette friche-chantier... Visite dramatique dans laquelle ses amis comédiens et artistes ont engagé tout ce W-E les visiteurs-spectateurs par sarabandes de douze. Ci-dessus Jean-Louis Gauthier, qui ouvre son guidage par une singulière diction de bribes de la Genèse...
Il appela la lumière JOUR et il appela les ténèbres NUIT.
Premier jour !
La déambulation va voir s'enchaîner, de salle en salle, une série de visions et d'écoutes étranges... Ce que l'on appelait une Fantasmagorie.
Oui, de l'italien Fantasma
: fantôme. Car Isabelle Provendier me semble, non seulement se nourrir du versant
poétique du monde des vapeurs cinématographiques, mais de fait y rejoindre la
constellation du "précinéma" : celui de la lanterne magique, du Kaléidoscope,
et des "Fantasmagories" de Robertson... Dans cette création, je pense moins à Méliès
qu'à la poésie, un siècle auparavant, de ce "faiseur de fantômes",
qui agitait des spectres dans les salons... Ici une salle aux murs éteints
s'allume sous le ruban de rêves de la complice cinégraphique d'Isabelle : Marie
Jumelin... Nuages qui passent, oiseaux furtifs, branches qui jouent les
métronomes, feuille qui tombe esseulée... Est-ce le songe d'un châtelain
absent, relancé par ce guide qui hante les lieux avec le port obséquieux d'un
valet de chambre nostalgique ? En tout cas, le monde dont ces créatrices
projettent la hantise sur les murs de la "chambre obscure" me touche
: je pense aux couloirs instables de la Belle et la Bête de
Cocteau, aux liens de sang entre le monde des bêtes et le monde des hommes, à
la tragédie de la chasse.
Comme la bâtisse barbotte
dans une pénombre sans lien avec l'ambiance diurne qui règne normalement dans ce vaisseau en travaux, les visions qui habitent cet antre le temps de la sarabande sont d'autant plus hypnotiques... Le
jour sans mystère une fois occulté, le lieu est tout juste balisé par
quelques vapeurs orangées de guirlandes garde-fous...
Le Sang des bêtes...
Et voici une forte image, songée par Isabelle,
agitée en spectre par Marie Jumelin, et dont je ne suis que l'enregistreur
photographique béat...
Ainsi donc le fantôme de la biche n'arrêtera jamais de saigner et d'accuser... Oui, je pense à nouveau aux blessures humaines des
bêtes, propres à la poésie de Cocteau et de Georges Franju... Je pense au Sang des Bêtes, et je revois aussi les alentours du Portail de Diane du château de Raray, aux abords duquel Jean Cocteau tourna cette scène de La Belle & la Bête...
Ah, grâce à la visite-spectacle de ce Week-end, le CINEVOG ne revit-il pas déjà un peu ?...
Revenons à l'antre que nous avons laissée, et faisons un petit retour en arrière :
Ici une première peau cinégraphique de la salle, avant que ne saigne la biche... Une belle idée que
cette résurrection décorative du mur : le trompe-l'oeil de losanges (cubes en
perspective) reprend le motif Renaissance effacé de cette salle actuellement en
restauration... Quand les rêveries d'une "troupe" d'artistes se
mettent à naître de quelque "authenticité" patrimoniale en chantier,
la dérive poétique est plutôt grisante... Oui, il faut dire que cet ensemble,
dont le Cinevog n'était que le volet "années 50",
présente, outre la Tour médiévale, nombre de types d'occupations étalées sur
plusieurs siècles...
Et revoici la fiction... Qu'est-ce
encore ?... Isabelle Provendier en cérémonial... Vu le cadre tragique du décor
projeté, la sculpture possédée que la belle serre au cou, la longue robe démonstrative,
j'imagine une espèce de "Lady Macbeth"...
En tout cas, cette Lady X en noir tient, serrée par le col, une
grosse pièce de terre cuite vernissée... Une des
pièces d'un jeu d'échecs fait de monstrueux petits personnages de faïence.
J'y reconnais le théâtre maudit du modeleur Pierre Sgamma, dont il est précisé (prospectus) qu'Isabelle l'a entraîné dans sarabande...
Quelle pièce va maintenant être jouée ? Celle-ci ?...
(cliquez sur l'image pour l'agrandir : pourquoi ne retrouve-t-on pas plus souvent cette comédienne, Isabelle Provendier, dans de la tragédie pure ?)
Peut-être...
Post tenebras...
Dans l'ancien conduit fuligineux d'une vieille cheminée démantelée, apparaît, entre homme et femme, dans le brasier fantôme du souvenir, un masque souffrant et parlant. En cliquant sur l'image, on distingue nettement, au milieu de la suie, la vision sulfureuse et torturée...
Si l'on s'approche du ludion vaporeux, on perçoit comme le masque sorcier d'un manant, dans lequel on identifie, au-delà du céphalo-spectre du comédien Jean-Louis Gauthier, un avatar diaphane de notre propre guide en ces lieux... La tête parlante vocifère dans les flammes une plainte en vieux français, dans laquelle on reconnaîtra par la suite la Ballade des pendus, de François Villon...
Excusez nous, puisque nous sommes
transis,
Envers le fils de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pas pour nous tarie,
Et nous préserve de l'infernale foudre.
Que l'on choisisse cette ballade dans son
texte d'époque ou dans une transcription qui nous permette de la saisir
aujourd'hui, il n'importe : je ne l'avais jamais entendue ainsi ! Le choix de
diction est celui de la souffrance, de la vocifération torturée et agonisante,
qui presse le sens du discours. Ce contexte de diction nous donne de fait une
possibilité de recevoir le texte "de plein fouet". Un peu comme le
personnage du guide, qui, nous égrenant depuis le début la visite de chaque lieu
avec des versets de la Genèse, finit par nous faire entendre quelque chose... Il nous en vivifie au moins la possible poésie, alors
que toute interprétation réaliste s'embourbe dans l'obsolète...
Intermède : le Cabinet de curiosités...
Réapparition de la Dame en noir...
Le four rallumé...
Plus loin dans la visite, une séquence
très inspirée, que la comédienne a imaginé autour d'un four de boulangerie
découvert pendant les fouilles. Elle fait parler la mémoire de ce mur en rallumant cette alcôve au son des dialogues de Marcel Pagnol pour son film (tiré de Jean
Giono) La Femme du boulanger...
Un Drame dur
Voici que les fantômes de Raimu et de Ginette
Leclerc engagent les spectateurs dans la fameuse scène du retour de la
boulangère, moment à la fois fétiche cinématographiquement, et d'une certaine
épreuve de lecture : ce qui y fonde la théâtralisation d'une morale devient martelant jusqu'à la souffrance...
La voilà, la Pomponnette...
On connait bien cette séquence, dans
laquelle Raimu profite du retour de Pomponnette, une petite chatte noire, pour
imposer à sa femme, elle aussi "de retour", une allégorie
culpabilisante... Ce qui pèse sur le personnage féminin peut être reçu par le
spectateur comme plaisir théâtral ou pur scandale...
La Boulangère expressionniste
Oui, j'ai toujours vécu comme
extrêmement "limite" ce moment cinématographique, où l'art de la
métaphore frise la torture, pousse à la gêne extrême, épuise dangereusement la
rhétorique de l'allégorie. En ce sens, le redoublement du rôle de la boulangère
par Isabelle est fort risqué et courageux...
... Et finalement c'est réussi : en
prenant sur elle une part de la souffrance du personnage, la comédienne
d'aujourd'hui se pose comme "victime solidaire" de la boulangère
"historique" !... Elle exténue à son tour la rhétorique violemment
abusive de Pagnol. Fort. Une vraie réflexion dramatique et cinématographique
sur un moment de cinéma "théâtral" : un moment de la visite qui
pourrait être rétro et fétichiste, et qui tourne finalement à la conscience, à
l'intelligence pure
Le Four rallumé : Que ma joie demeure...
La chambre aux coquelicots. Premier
rêve de la Belle...
Des précédentes occupations de cette Tour d'Argent (hors le Cinevog, le dancing Le Lido, et la Tour elle-même), subsistent des aménagements de diverses époques... Vestiges d'hôtels particuliers, Four de la Patisserie David, etc. Ici, une chambre aménagée, avec cheminée sans doute XVIIIe siècle, mais dont subsiste la tapisserie posée par ses derniers occupants (années 50 ?)...
La chambre aux coquelicots. Premier
rêve de la Belle (suite)
Isabelle Provendier et Marie Jumelin
réveillent cette alcove désuète avec une fantasmagorie de fleurs, dont les
pétales descendent en flocons de neige depuis le plafond... Et dont les
coquelicots poussent, drus et vifs, dans le carrelage ; ce sol "théâtral" me
renvoie à quelques souvenirs dansants de Pina Bausch... Ici, dans le rôle d'une
Belle au bois dormant dont le sommeil lévite au-dessus d'une
hantise fleurie, la comédienne Camille Carraz...
La résurrection des coquelicots.
Second rêve de la Belle...
La visite dramatique guidée par cette
troupe d'artistes se termine dans la redécouverte du jour solaire...
Inquiétante de froideur après tous ces flamboiements de pénombre, la lumière
naturelle revient pénétrer les lieux, au cœur de la Tour elle-même cette
fois, dont les murs sont encore piquetés par les sondages récents des
archéologues... Lady Isabelle y entame une sorte de danse rituelle glacée,
devant deux momies de loups blancs hibernés, imaginées par le sculpteur Pierre
Sgamma...
Le Final des loups...
Statues créées par Pierre Sgamma. Autres artistes participants : Aurélie
Alvarez et Françoise Ducret.
Au sol, en attente de restauration
dans le "décor" du lieu (on le souhaite), les enseignes de la défunte salle de cinéma Cinevog,
et du terrible dancing Le Lido...
LES LOUPS...
Il n'est ni naturel, ni aisé d'intégrer des oeuvres graphiques d'univers personnels indépendants à un ensemble scénographique... Si les œuvres de Sgamma semblent faire corps, faire "organes", avec les personnages d'Isabelle Provendier, c'est sans doute qu'elles sont déjà en elles-mêmes assez "possédées", assez chargées de drame. Ainsi se retrouvent-elles disponibles, presque plus naturellement que dans une salle d'exposition, pour toute une série d'incarnations en personnages véritables...
A vrai dire, les sculptures un peu "chamaniques" de Sgamma sont des fétiches de l'âme à mon sens, lesquels ne demandent plus qu'à être "chargés" pour mettre en marche immédiate leur dangereuse magie... Au sens cérémoniel propre, un fétiche sculpté est "chargé" lorsque le féticheur place dans l'amulette un échantillon personnalisant quelconque : goutte de sang, mouchoir ayant appartenu à un humain, etc. C'est un peu ce qu'il arrive aux objets talismaniques de Sgamma : chargés très vite par la sève dramatique qui les invite dans le rituel scénique, ils y décuplent instantanément la force de leur première naissance purement argileuse. C'est toute l'histoire du GOLEM
POSTLUDE : Lumière du jour....
Pour les derniers spectateurs de la sarabande qui descend de la Tour et sort de l'illusion de cette visite guidée ensorcelée, les loups se laissent regarder seuls un instant. Non, ce ne sont pas des ours, ni des renards bleus arctiques, ce sont bien des loups ; des loups momifiés. Et il s'agit d'un couple, d'un couple debout. Et ce couple de bêtes invite un autre couple à la danse...
La Danse froide des loups...
Et maintenant rentre dans la Tour le vent froid de la lumière diurne, le vent de septentrion momificateur de loups..
THE SHOW MUST GO ON !
Bravo à Isabelle Provendier, Camille Carraz, Jean-Louis Gauthier, Marie Jumelin, Pierre Sgamma, Aurélie Alvarez, Françoise Ducret, et à la Direction du Patrimoine de la ville de L'Isle-sur-la-Sorgue.