CLAEYS à LA LOUPE
 
A la Fabrique Notre-Dame, j'héberge en ce moment plusieurs originaux de l'illustrateur Jean-Claude Claeys, dont celui-ci : couverture pour un recueil de nouvelles de Fredric Brown aux éditions Néo (Oswald).. Comme souvent chez Claeys, vous voyez une scène que le protagoniste ne voit pas, ou ne voit plus (comme ici), alors qu'il tourne vers vous un visage qui à la fois défie et conduit la scrutation. C'est un... style plus que cinématographique, théâtral : celui de l'aparté. Ici, le personnage, un passionné de la bouteille (en fait de la fiasque) se tient à part pour diriger vers nous, lecteurs de l'image, une fiasque d'alcool intimement ouvragée, en l'occurrence quelque chose de bien plat qui se planque dans la poche avec grâce, et dont la position débouchée marque l'instant de l'action : il va boire ; ou "il vient de boire". Mais c'est la précieuse gourde (raffinée) qui m'intéresse, et où il est net que l'illustrateur a mis toute sa frénésie du détail, comme celle de l'accord compulsif entre ses personnages et les objets techniques. Donc je me penche, moi aussi, en compulsif de la scrutation, sur la fiasque...

 
 
 
Je le sens bien : cet acier bouchonné, ou martelé, incarne l'accessoire "personnel et viril", ouvragé et chic, mais surtout de confiance. C'est un objet intime, que le personnage nous dévoile de façon presque obscène, débouché vers nous. Si son bouchonnage relève de cette même technique d'artisanat de luxe par laquelle l'on usine les culasses des Bugatti, il incarne ici un objet autrement convivial, d'hygiène personnelle plaisante, et à portée de bourse : il marque une distinction sociale, du moins un pathos de conduite, sans avoir les inconvénients dispendieux de la possession aristocrate (la Bugatti)... C'est l'objet fétiche, abordable, mais mis dans un coin du tableau comme signe avéré de richesse, dans la plus pure tradition des "vide-poche" de la Renaissance...
 
 
 
 
Et voici que s'aimante le piège : parce qu'il me semble "hyperréaliste", je veux voir le bijou intime (un bijou de "maladie morale" en quelque sorte) à la loupe... Donc j'approche mon ustensile précieux de l'ustensile précieux du personnage-mécène : oui, généralement le peintre, lorsqu'il soigne le détail d'un objet, ne fait qu'exécuter une demande du mécène, lequel figure souvent dans le tableau, quant à la mise en valeur d'un de ses objets de collection...

 
 



Fort bien. Mais ci-dessous, au contraire, alors que je m'approche encore, l'illusion, le "simulacre" de détail disparaît, n'est-ce pas ? Comme lorsque, fasciné par les chromes d'une Américaine sur une toile hyperréaliste des années 70 US, l'on s'approche du pare-chocs peint, pour en décrypter la luisance efficace et fascinante... Alors la leçon est que l'efficace du simulacre était la distance. La distance à partir de laquelle l'illusion est restituable, dans tout son processus de séduction, de semblance réaliste extrême. Voilà le miroir aux alouettes de l'artiste, chez Claeys comme chez d'autres, qu'on les dise (sans réfléchir) figuratifs ou abstraits. Voilà la leçon de simulacre de l'approche de tout original. C'est la leçon de la présence réelle, leçon pour laquelle mes 4 photos sont bien insuffisantes !... Et c'est pourquoi je vous invite à venir à la Fabrique, vivre ce dont je parle, en présence réelle des originaux !