DÉFENSE DES BERGÈRES DE PORCELAINE


Un titre étonnant, n'est-ce pas ? C'est celui d'un des articles du recueil de G. K. Chesterton nommé Le Défenseur. Il n'est  d'ailleurs pas le seul article à présenter un intitulé d'emblée obsolète et paradoxal à sa parution (début du XXe siècle)... Autant livrer tout de suite ci-dessous un choix d'autres titres de cet ouvrage, afin d'en donner le ton :
 
Défense des bergères de porcelaine
Défense des romans terrifiants
Défense des squelettes
Défense des vœux imprudents
Défense de la farce
Défense de la laideur

Et pour en révéler l'éthique, voire le fond, voici l'introduction du très éclairant chapitre Défense de la farce :

Je n'ai jamais pu comprendre pourquoi certaines formes d'art devraient être considérées comme inférieures. On dit, par exemple, qu'une comédie "dégénère" en farce. En bonne critique, ne devrait-on pas dire plutôt "se change" en farce ? Car on pourrait prétendre, tout aussi raisonnablement, qu'elle "dégénère" en tragédie.

/.../

Comme aucune règle n'est établie pour les genres les plus légers et les plus indépendants, aucun souffle d'orgueil artistique ne les anime et ils tendent à devenir aussi mauvais que leur réputation. 

Traduction française de Georges-A. Garnier. Éditions L'Âge d'Homme

 

Cette volonté d'interroger le non-dit fondé sur un implicite de routine, le côté "établi" malgré soi de certaines valeurs, Chesterton l'exerce également en allant interroger la notion d'obsolète, voire de suranné, et cela m'a touché dans le fameux article sur la Bergère de porcelaine où il pointe le concept des anciennes amours :

Il faut ranger parmi elles ce grand enthousiasme pour la vie arcadienne, que le réalisme accable aujourd'hui de sarcasmes et qui exerça une grande influence sur une longue période de l'histoire. La conception d'une vie innocente et joyeuse des bergers et des bergères à régné aux siècles de Théocrite et de Virgile /.../ Il est entendu que la littérature et l'art arcadiens sont des enthousiasmes passés. Les étudier, c'est comme feuilleter les lettres d'amour d'une personne morte.

Et de conclure par cette affirmation provocatrice et paradoxale :

On nous dit que les dieux du paganisme était de pierre et de bronze, mais ni le bronze ni la pierre n'ont eu la pérennité de la bergère de porcelaine.

Traduction française de Georges-A. Garnier. Éditions L'Âge d'Homme

Pour permettre au lecteur d'en savoir plus, il me faut maintenant l'inviter à plonger dans le livre de Chesterton lui-même...

 
Et d'y déguster, en hors-d'oeuvre aux autres, le pamphlet en question :
 

 
Ce délicieux petit livret a été publié en français par l'éditeur L'Âge d'Homme ; s'il n'était plus disponible en librairie, j'ai constaté qu'on le trouvait sans difficulté sur le net, chez les meilleurs bouquinistes en ligne... En attendant je vous invite à vous rendre sur mon site de photographe, et à y ouvrir sans gène l'album thématique Interludes domestiques. Vous verrez à quel point je me sens directement concerné par le sujet, appréciant de casser la croûte devant un petit bouquet de table, harmonieusement gardé par une jeune bergère et son agneau : un clic sur cette scène de porcelaine et vous y êtes !